En 2017, OVH a beaucoup grandi à travers les recrutements que nous avons faits en Europe, le rachat d’une entreprise aux USA, la construction de 14 nouveaux Datacentres et le démarrage des activités en APAC. En moins de 18 mois, nous avons doublé le nombre d’employés en passant de 1200 personnes à 2500 personnes. BTW, je ne recommande pas de grandir aussi vite.
OVH est une entreprise numérique dans la mesure où nous délivrons un service, que le client nous commande, grâce au software. Vers la fin de 2017 j’ai réalisé que beaucoup de nouveaux collaborateurs chez OVH, n’avaient pas compris ce qu’est une entreprise numérique. Ils n’avaient pas compris tous les « pourquoi ». Et pour former rapidement les équipes, il nous a fallu trouver des outils simples pour permettre à tout le monde de connaitre les fondamentaux d’une entreprise numérique comme la nôtre. On a donc imaginé pas mal de principes, d’ outils, de règles, souvent « de bon sens » afin d’aligner les équipes sur le mode numérique.
L’un de ces outils, je l’ai appelé « BFLNT ». Le nom n’est pas très sexy mais ça fait le job. J’ai proposé de regarder l’ensemble de l’organisation d’OVH et de ses recrutements avec cet outil afin de répondre à quelques questions simples qu’on doit se poser lorsqu’on recrute dans une entreprise numérique. Voici quelques-unes de ces questions :
- Lorsqu’on recrute de nouvelles équipes, comment être sûr qu’on construit toujours une entreprise numérique ? Comment savoir qu’on met l’effort au bon endroit ? Comment décrire les missions de chacun et donner du sens à chaque collaborateur ?
- En quoi consiste la transformation d’une entreprise en une entreprise numérique ? Quel est l’impact d’une transformation numérique sur le business modèle ? »
Cet outil n’est pas le seul pour définir une entreprise numérique. Si vous connaissez d’autres outils similaires, n’hésitez pas à me les partager sur Twitter @olesovhcom.
B comme : « BAU / Business as Usual »
Dans le « BAU », on regroupe tous les projets, toutes les tâches, toutes les actions quotidiennes qui sont nécessaires pour délivrer « le service vendu au client ». On prend tous ces processus de l’entreprise et on fait exactement comme hier : « as usual ».
Dans une entreprise numérique futuriste et idéale,aucune personne n’estemployée pour délivrer le service que le client acommandé. On parle d’une entreprise, où tout fonctionne à merveille, où il n’y a aucun bug nulle part. Tous ces processus « BAU » ont été tellement bien automatisés qu’il n’y a plus besoin d’avoir du personnel pour le délivrer. Comment on le fait ? On le fait à travers le software, avec les robots, les drones, avec de l’intelligence artificielle. On le fait en se basant sur les données.
Prenons des exemples. Pour faire un virement bancaire. Avant, il fallait aller à la banque, rencontrer un conseiller, lui expliquer ce qu’on voulait faire, signer des documents. Puis ensuite la banque exécutait tous les processus de virement, parfois les sous-traitait dans d’autres pays pour réduire les coûts.
Aujourd’hui, en 1 clic sur un smartphone, le client fait un virement via une Apps, un logiciel, un site web. Aucune intervention humaine. Le « BAU » est bien réalisé avec 0 personne. Vous avez la même chose pour les hôtels, pour l’assurance, pour le cinéma, pour la musique…
Grâce au software, qu’on développe qu’une seule fois, et que l’on exécute des milliards de fois, on réduit les coûts du « BAU », on génère des gains de productivité, et on réduit les coûts pour les clients. Aussi, la productivité est améliorée parce qu’une partie du travail est désormais faite par les clients eux-mêmes, tout est à un clic que le client initie. Puis derrière, grâce à l’automatisation, grâce à la robotique, aux drones, et bientôt grâce aux avions, aux porte-conteneurs, ou les voitures autonomes, les entreprises numériques exécutent les ordres des clients.
Dans une entreprise standard, le coût du « BAU » est proportionnel au revenu, alors que dans une entreprise numérique le coût du « BAU » est fixe, quel que soit le revenu. Les entreprises numériques continuent à investir pour automatiser, pour développer les nouveaux software, pour utiliser les robots, et tout ce qu’on peut programmer. Le but est de diminuer ce coût fixe afin de réduire encore et encore les coûts pour les clients. Une entreprise numérique recrute mais pas pour faire le « BAU » mais pour développer le software qui fera mieux que le « BAU ».
Quand j’ai commencé OVH, j’ai immédiatement voulu mettre le software partout. Pourquoi ? Déjà, parce que je suis né avec des ordinateurs dans les mains et que je voulais faire une boite où je pouvais coder des trucs de fou. Mais aussi parce que j’ai démarré OVH avec rien. Comment faire des choses énormes quand vous n’avez aucun moyen ? J’ai vu dans le software une solution pour délivrer les services aux clients à moindre coût. On a donc codé tous les processus de l’entreprise dès le premier jour d’OVH. Aujourd’hui encore le client va sur le site, commande un service, paie, puis le software configure l’infrastructure et délivre le service au client. Aucune intervention humaine. 0. Le software a été inscrit dans notre ADN et fait partie de notre « software attitude ». C’est ça qui a fait que nos prix sont historiquement moins chers.
Tout le BAU ne peut pas (encore) être automatisé car certaines technologies n’existent pas. Et donc en dehors de notre cœur de métier, c’est-à-dire le produit, le reste du « BAU » n’est pas encore « digitalisé » à 100%. Il y a les services supports qui répondent aux questions de nos clients liées à l’utilisation des produits et ses services. Il y a la relation commerciale qui permet d’échanger avec le client et de comprendre ses besoins afin de l’orienter vers le bon produit. Dans notre usine, les équipes assemblent les serveurs puis les expédient dans nos datacentres. Nous n’avons pas robotisé la construction des datacentres, les extensions des datacentres existants. Il y a aussi les équipes Finance, Ressources humaines, Juridique qui sont là pour supporter l’activité d’OVH. Tous ces métiers sont déjà très assistés par le software, par les robots, par l’automatisation, mais même dans une entreprise numérique comme la nôtre, le « BAU » avec 0 humain n’est pas (encore) vrai. En revanche, on sait que la pression du marché, la pression de nos clients à proposer des produits encore moins chers, encore mieux scalables, nous obligera à nous remettre en question. OVH se doit d’industrialiser, d’automatiser, de développer, d’innover afin de réduire le coût de son « BAU » et réduire les prix pour nos clients.
Le mindset des équipes « BAU » est assez schizophrénique. D’un côté, les équipes doivent être dans l’exécution de processus quotidiens et dans la performance de cette exécution. Et de l’autre côté, ces équipes doivent être capables d’identifier les zones d’amélioration des outils afin de simplifier leur travail, pour réduire leur charge de travail, pour travailler de manière plus maline ou pour ne plus travailler du tout. Il faut savoir créer une ambiance de travail où l’on mélange la persévérance dans le présent avec l’ingéniosité pour le futur. On est constamment dans la remise en question et l’amélioration continue.
On sait très bien : le monde parfait n’existe pas. C’est pourquoi, il y a les autres 4 types de projets : « F » comme « Fixe », « L » comme « Lean », « N » comme « New », « T » comme « Transformation ».
« F » comme « Fixe »
Une entreprise qui délivre le « BAU » sans aucun grain de sable, cela n’existe pas. Il faut être là au cas où quelque chose ne se passe pas correctement. C’est pourquoi les entreprises numériques ont besoin des équipes « Fixe » pour gérer « les trains en retard » ou « les paquets expédiés qui n’arrivent pas à la bonne adresse ».
Chez OVH, nous avons les équipes « Run » qui sont là 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour 2 missions.
La première est a) de monitorer les services commandés par les clients et délivrés par le software « BAU », b) monitorer le software « Fixe » qui corrige automatiquement les anomalies que le software « BAU » peut générer, c) intervenir humainement au cas où le software « Fixe » ne sait pas (encore) corriger automatiquement une anomalie et fixer le souci à la main.
La deuxième mission consiste à être disponible pour les clients qui doivent pouvoir déclarer un incident que le monitoring n’aurait pas vu. Même le meilleur monitoring n’est pas capable d’imaginer tous les cas d’utilisation que le client peut avoir.
Après chaque intervention, il faut lancer le processus « post-mortem » afin d’améliorer le monitoring, de software « Fixe » et du software « BAU ». Si on exécute mal ce processus, il faudra recruter de nouvelles personnes pour le « Fix » et donc son cout augmentera. Sinon la qualité de service baissera.
On peut commettre l’erreur qui consiste à vouloir chercher les économies sur le « Fixe » et vouloir réduire le coût du « Fixe » à 0. Le client peut accepter d’avoir parfois un souci mais il n’acceptera pas que le software ne fonctionne pas tout le temps correctement.
C’est là que les entreprises américaines sont probablement meilleures que les entreprises européennes. De manière globale, le « Fixe » est vraiment pris au sérieux dans l’ADN et chaque entreprise américaine met sur la table des moyens conséquents pour réaliser le « Fixe ». Par contre, pour éviter que le coût du « Fixe » impacte beaucoup le Business Model, une entreprise numérique américaine va donc chercher immédiatement le volume et donc le marché mondial.
Le mindset des équipes « Fixe » se traduit par «ne jamais rien lâcher ». « Never give up ». Ces équipes-là ne voient que ce qui ne marche pas. Tout le monde ne peut pas faire ce métier. Le positivisme, la joie mixée avec de la persévérance, le courage, mêlée à l’envie d’aider, d’être là pour les autres, font partis des traits de caractère pour construire une excellente équipe « Fixe » qui puissent s’épanouir dans ce type de mission.
« L » comme « Lean ».
On connait très bien le « Lean » dans les entreprises industrielles. Entre l’amélioration de processus de lignes de montage de voiture à l’amélioration de processus de saisie de chèques dans une banque. Le « Lean » existe aussi dans le software. 3 missions. D’abord, la refactorisation du code, d’optimisation de bases de données, de changement de langage de programmation, dans le but de coder plus vite, exécuter le code plus vite, avec moins de ressources. Ensuite, les plans d’action de « post-mortem » pour corriger les bugs dans le software « BAU ». Enfin, le développement des idées qui viennent de BAU pour améliorer le BAU .
Les équipes « Lean » sont des perfectionnistes qui travaillent sur les petits détails. Ces équipes « Lean » travaillent aussi sur des questions comme « Comment délivrer le service aux clients en 10 secondes au lieu de 20 secondes. Comment faire mieux qu’hier ? »
Pourquoi vouloir délivrer un service 10 secondes plus vite ? La réponse ne peut pas être « parce que les concurrents le feront » qui est une réponse défensive. Les équipes « Lean » se battent contreelles-mêmes,contreleurs propres limites. C’est ce que Simon Sinek décrit comme « the infinite game ». La réponse à cette question passe par la passion des équipes à vouloir aller toujours plus loin, à vouloir se dépasser, à faire toujours mieux chaque jour. C’est un sport qui n’a pas de limite.
« N » comme « New »
Prendre de nouveaux risques fait partie de l’ADN de chaque entreprise qui se projette sur la durée. Dans le cas des entreprises numériques, il s’agit de développer un nouveau bout de code pour proposer aux clients une nouvelle fonctionnalité, un nouveau produit, un nouveau service, pour répondre aux nouveaux besoins des clients.
Mais il ne s’agit pas juste d’écrire le code. Les équipes NEW doivent d’abord penser aux besoins des clients puis au business model, au prix, au coût, au volume, à la taille du marché. C’est seulement à la fin qu’on pense au software. Les équipes « NEW » évoluent dans le contextede la polyvalencedu savoir-faire, qui doit être à la fois, marketing, technique et finance.
Les équipes « New» réfléchissent à travers des cycles rapides, de manière itérative, en testant des idées avec les clients, puis en tuant les idées qui ne marchent pas et en poussant les idées qui fonctionnent. Pour faire cela, il faut inclure directement le client dans le processus de décision, lui faire confiance en partageant beaucoup de détails et créer une réelle collaboration.
C’est aussi unbon exercice de compromis et de disruption, car on s’aperçoit qu’à chaque fois, le client veut que 1+1 soit égal à 3. Il faut trouver une idée magique et souvent elle vient quand on regarde en dehors de son propre périmètre de métier. Chez OVH, on peut citer le refroidissement des datacentres que nous avons développé en 2003. Dès le départ, nous avons été convaincus que le watercooling arriverait dans les datacentres comme le refroidissement liquide est arrivé dans l’automobile pour refroidir les moteurs thermiques de plus en plus puissants. On s’est juste dit que c’était possible puis on l’a fait. Cet exemple montre aussi que les entreprises numériques ne créent pas toujours de vraies innovations. Ce que nous avons fait c’est adapter une technologie dans un nouveau contexte. Le vrai bon mot à utiliser est « hack ».
L’arrivée de l’IA bouleverse l’industrie du software elle-même sur beaucoup d’aspect. Les équipes NEW ou LEAN codenet désormais le software IA qui « automatise» les développeurs. Inception. C’est un excellent sujet pour peut-être un autre blog.
« T » comme « Transformation »
La transformation des entreprises est un processus connu. Parfois, il est malheureux, car l’entreprise ne marche pas bien, et il faut la restructurer. Parfois, c’est parce qu’elle marche bien, elle recrute, et elle a besoin de transformer ses processus, son organisation, pour continuer à bien fonctionner mais à une plus grande échelle.
On parle de plus en plus : de la transformation vers des modèles plus plats, plus transversaux ; des organisations qui utilisent l’intelligence collective. Ce type d’organisation est beaucoup plus commun dans les entreprises numériques qui n’ont pas le luxe de se payer des organisations en silo, les guerres d’égo ou une faible vitesse d’exécution liée au manque d’information. Les boîtes numériques ont la survie dans leur ADN. C’est pourquoi les organisations ressemblent à une organisation dans un organisme vivant où les organes sont autonomes mais interdépendants. Ce type d’organisation sont les copiés-collés de ce que la nature a fait de mieux pour augmenter les chances de survie. Le résultat de millions d’années d’évolution darwinienne arrive dans l’entreprise pour rendre les entreprises plus humaines, plus robustes. L’importance de la place de la femme dans une entreprise, la diversité, s’entourer des gens qui viennent de milieux différents, de pays différents, qui pensent différemment c’est de la génétique appliquée à l’entreprise, afin d’augmenter les chances de survie.
Les équipes en charge de la « Transformation » sont à la fois de nature « never give up » mais en mode serein et empathique. Elles sont capables d’accompagner les gens perdus dans une « Transformation » via le feedback, l’écoute pour expliquer la direction et donner du sens. Ces équipes encouragent et rassurent les employés, tout en continuant à maintenir le cap.
Pour finir.
Grâce aux équipes numériques « LEAN », les entreprises ont une opportunité à transformer leur « BAU » mais doivent aussi transformer aussi la culture de l’entreprise. Le centre de gravité de votre entreprise change vers les « Data » et cela les change les missions quel’entreprise donne aux femmes et aux hommes.
Pour construire les équipes « BAU » « Fixe » « Lean » « New » « Transformation », il faut comprendre les motivations profondes de chacun, la psychologie, pour assembler les équipes, qui peuvent travailler ensemble. Chez OVH, environ 50% des équipes sont sur le« BAU », 10% sur le « Fixe », 25% sur le « Lean », 10% sur le « New » et 5% sur la « Transformation ». A travers les recrutements dans les prochaines années, l’objectif est d’arriver à environ 40% sur le « BAU », 10% sur le « Fixe », 30% sur le« Lean », 15% sur le le « New » et 5% sur la « Transformation ».
Le « Lean » et le « New » coûtent cher. Les entreprises doivent recruter des talents qui développent les logiciels et font évoluer l’entreprise, son organisation, sa culture. Ce sont des investissements dans l’outil de production actuel pour un meilleur futur. Si on pense long terme, ces investissements sont indispensables. Et il y a plusieurs bonnes nouvelles. D’abord il est conseillé de requalifier les coûts de « Lean » et « New », en investissement. Au niveau du Budget, tous ces OPEX doivent être considérés comme CAPEX afin de les amortir sur 5 ans. Ceci permet aussi montrer que l’entreprise reste profitable malgré une profonde transformation interne. Mais, cela ne change pas la situation au niveau du « Cash Flow », les collaborateurs doivent être toujours payés. Augmenter le capital peut s’avérer nécessaire afin d’investir dans le « Lean » et le « New » puis réduire les coûts du « BAU ». Il existe beaucoup d’acteurs sur le marché qui sont prêts à accompagner les entreprises dans les transformations qui augmentent les marges.
Faire appel à l’écosystème est aussi un moyen de faire une transformation rapide et moins coûteuse. Au lieu de continuer à vouloir tout faire, les entreprises profitent de ce que les autres proposent, pour les intégrer dans les processus et réduire les coûts du « BAU » plus vite. C’est souvent grâce à la vitesse et la capacité à prendre de risques, que les entreprises américaines gagnent vis à vis des entreprises européennes. En Europe, on préfère encore aller moins vite mais garder le contrôle. En Europe, on ne sait pas faire confiance très facilement. En Europe, on n’a pas la culture du risque. En Europe, la culture du compromis n’existe pas vraiment et on préfère réfléchir encore de manière binaire, en bien et en mal. En Europe, on n’a pas encore vu que la solution passe par la confiance et le travail en écosystème.
Je reste persuadé qu’une entreprise ou un écosystème ne peut pas avoir de succès sans la confiance, et la confiance ne peut pas exister sans la passion. Pour moi, une entreprise est donc par définition une organisation qui fonctionne sur des fondations proches des préoccupation humaines. Il faut savoir créer un environnement où, quand on ne sait pas, on peut lever la main, sans risque. Ce n’est pas simple de créerdes organisations où partager sa vulnérabilité n’est pas un aveu de faiblesse, mais un signe de maturité. Ce n’est plus la posture de ces personnes qui rassure mais la connaissance de leurs propres limites. Dans les entreprises, le rôle de la confiance est essentiel, pour travailler ensemble, entre les membres d’une même équipe, avec les partenaires et avec les clients.
Décidément, on vit une période passionnante
Founder & Chairman OVHcloud